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Le portugais dans tous ses états

Racines

On dit d’une langue qu’elle renferme l’histoire d’un peuple et traduit son caractère. C’est particulièrement le cas du portugais, qui conserve intimement la trace des épopées et métissages passés, ainsi que de sa condition géographique :
▪ périphérie isolée de l’empire romain (encore plus pour la région portugaise), l’Hispanie parlait un latin qui demeura généralement plus archaïsant et moins ouvert aux innovations linguistiques (vocabulaire) venues de Rome.
▪ l’arabisation de la péninsule (8e-12e siècle) se traduisit par un fort enrichissement lexical, la domination arabe imposant à l’époque une culture supérieure dans divers domaines : nouveaux instruments, techniques, produits, concepts… envahissent la vie quotidienne sous leur désignation arabe (dont il subsiste 300 à 600 mots dans le portugais moderne courant).
▪ la thalassocratie portugaise (à partir du 16e siècle) répandra sa langue dans le monde entier, devenant lingua franca des marins, marchands, missionnaires, et subissant en retour des influences : pour désigner les produits exotiques, le portugais empruntera aux langues asiatiques, africaines, amérindiennes, et diffusera ce nouveau vocabulaire dans toute l’Europe.

Originalités

Dès la romanisation de la péninsule ibérique, le parler du nord-ouest se révèle indépendant. C’est au 12e siècle que la langue portugaise s’individualise véritablement et apporte son originalité dans la confusion des langues issues du latin. Seule entre toutes, elle possède un infinitif personnel qui se conjugue (ce pourquoi on a pu dire du portugais qu’il avait une syntaxe paresseuse), et une gamme très variée de voyelles et de diphtongues qui la rapproche du français. Deux traits empêchent de la confondre : une nasalisation envahissante (marquée par le tilde : ão, ãe, õe, etc.) et la surabondance des sons chuintants, ce qui explique pourquoi le portugais rappelle certaines langues d’Europe de l’est (tel que le polonais). Le tout en contradiction absolue avec la prononciation claire, uniforme et nettement découpée du castillan (pas de sons gutturaux en portugais, pas de « jota » espagnole).

Complexités

Le portugais est considéré comme la langue européenne de plus grande richesse phonétique et la plus novatrice des langues romanes par rapport au latin en ce qui concerne le système vocalique (voyelles). Ayant à sa disposition une très large palette de sons, un lusophone n’a donc aucun mal à appréhender facilement d’autres langues, surtout au regard de la prononciation, ce qui fait probablement des portugais les latins qui maitrisent le mieux les langues étrangères.

Revers de la médaille, la langue portugaise est probablement la plus complexe des langues latines à apprendre pour un francophone, principalement en raison de la prononciation et de la conjugaison (3 subjonctifs – présent, passé, futur – sont utilisés au quotidien). Seule facilité qui le démarque nettement du français : le portugais s’écrit quasi phonétiquement (mais encore faut-il savoir le prononcer !) depuis qu’une réforme orthographique au début 20e siècle a fait disparaitre les lettres d’origine grecque (ph, th, k, y, w, etc.) et la plupart des consonnes doubles (ll, pp, ff, etc.)

Lusophonie

La Lusophonie rassemblant près de 300 millions de locuteurs, les parlers portugais varient formidablement, et l’on se surprendra à entendre une langue aussi différente lorsqu’elle sort de la bouche d’un brésilien par exemple : le flux est alors plus coulé, les intonations plus chantantes, la syllabation plus claire, ce qui facilite généralement la compréhension pour un francophone.

Comme pour le français, l’étendue géographique du portugais résulte du passé colonial, mais alors que le français est seconde langue dans la plupart de ses anciennes colonies, le portugais est devenue la première dans les siennes (Brésil, Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Cap-Vert, Sao Tomé-et-Principe, Timor oriental), ce qui en fait la 4e langue maternelle à l’échelle de la planète (derrière le mandarin, l’anglais et l’espagnol).

Eviter l’espagnol à Lisbonne ?

« D’Espagne ne vient ni bon vent ni bon mariage » : ce proverbe portugais en dit long sur les relations historiques exaltées entretenues avec l’unique voisinage. Contre leur gré, les « frères ennemis » ont toujours été liés par des histoires et destinées communes. Ne pas croire que les rancœurs soient encore vives. Ce qui transparait aujourd’hui dans un rejet occasionnel, ce sont avant tout des caractères contrastés, régulièrement amplifiés par le tourisme : l’espagnol élève plus facilement la voix, se montre souvent extraverti, affiche sa fierté, quand le portugais est plus discret, davantage humble, et chez lui à Lisbonne. En conclusion, mais mieux vaut se faire passer pour un francophone que pour un voisin ibérique.

Parler français à Lisbonne ?

La connaissance du français est un fait générationnel au Portugal : sous la dictature, le français était la première langue étrangère (obligatoire pour tous) enseignée à l’école, devant l’anglais. Au lendemain de la révolution des œillets (1974), l’obligation d’apprentissage de ces deux langues fut maintenue, mais l’anglais prit le dessus. Aujourd’hui, le français occupe encore la 2e place parmi les secondes langues enseignées. Toutefois, il est clair que ce sont avant tout les générations les plus anciennes qui le parlent. Environ 15% des portugais déclarent maitriser correctement le français, proportion supérieure dans la capitale.

Loin de nous l’idée d’encourager à parler français à Lisbonne (apprendre à bafouiller quelques mots de portugais fait partie du Voyage), ce seront les portugais eux-mêmes qui s’adresseront régulièrement à vous dans cette langue. Jusque-là, les francophones jouissent d’une image positive, autant en profiter tout en veillant à y prendre soin.